LA BELLE ET LA BÊTE

Libretto

L'adaptation de Jean Cocteau pour le cinéma avec

Jean Marais et Josette Day dans les rôles principaux

DISC 1
page 2


[6] LE RETOUR DU PERE	
La maison du père	
LE PERE :
Je ne sais pas si le voyage a été court ou interminable. Le Magnifique est dans notre écurie. Voilà mon histoire. Belle, prends cette rose, elle me coûte bien cher.
FELICIE:
Voilà ce qui arrive quand une sotte demande qu'on lui apporte des roses.
ADELAIDE:
Et qui veut faire la modeste, et nous donner des leçons. Elle ne pleure même pas.
LA BELLE :
Vous ne mourrez pas, mon père, c'est ma faute. Que j'aille à votre place!
AVENANT:
Nous irons avec Ludovic. Et nous tuerons cette épouvantable bête.
LE PERE :
La puissance de cette bête est si grande qu'il ne nous reste aucun espoir. Tiens-toi tranquille, Belle. Je suis vieux, j'ai promis, j'irai.
FELICIE:
Vous n'irez pas, mon père. Vous pouvez encore gagner votre procès.
ADELAIDE:
Comment allons-nous vivre ?
LE PERE :
Vous vendrez mes meubles.
FELICIE:
C'est grand dommage que cette bête ne réclame pas les garçons.
LE PERE :
Mes enfants ! Du calme.
LA BELLE :
Mon père. J'aime mieux être dévorée par ce monstre que de mourir du chagrin que me donnerait votre perte.
AVENANT:
Vous n'irez pas chez ce monstre.
FELICIE:
De quoi vous mêlez-vous ?
AVENANT:
Je me mêle de ce qui me plaît !
ADELAIDE:
Seriez-vous amoureux de cette idiote ? Ça ferait une belle paire.
LUDOVIC:
Avenant, gifle-la !
LE PERE :
Du calme, du calme.
AVENANT:
Répétez ! Répétez ce que vous venez de dire.
FELICIE:
Une idiote et un idiot ! Il m'a frappée !
ADELAIDE:
Voyou ! Canaille !
LUDOVIC:
Tu te permets de gifler ma sœur !
AVENANT:
Toi, si tu veux une gifle, j'en ai plein les mains !
ADELAIDE:
Tricheur ! Voleur !
LE PERE :
Mes enfants. Mes enfants !
LA BELLE :
Ludovic, il se trouve mal.
AVENANT:
Transportons-le dans sa chambre.
Avenant, Ludovic et la Belle transportent le père hors de la pièce.	
FELICIE:
Il m'a frappée, Adélaïde.
ADELAIDE:
Et nous n'avons plus le sou !
FELICIE:
Ne nous laissons pas aller. La Bête les dévorera tous ! Et nous épouserons des princes.
[7] LA BELLE VA AU CHATEAU	
Dans l'écurie. La Belle monte à cheval blanc.	
LA BELLE :
Va où je vais, Le Magnifique, va, va, va !
La Belle arrive au château. D'étranges voix lui parlent.	
LA BETE :
La Belle, je suis la porte de votre chambre. Je suis votre miroir, la Belle. Réfléchissez pour moi, je réfléchirai pour vous.
LA BELLE :
Oh !
La Belle va dehors et La Bête apparaît...	
LA BETE :
Où allez-vous ?
LA BELLE :
S'évanouissant

 

Oh !
La Bête porte la Belle sur son lit... Elle se réveille	
LA BETE :
Belle, il ne faut pas me regarder dans les yeux. Ne craignez rien, vous ne me verrez jamais, sauf chaque soir, à sept heures, où vous dînerez et où je viendrai dans la grande salle. Il ne faut pas me regarder dans les yeux.
[8] LE DINER
Dans la salle à manger du château. La Belle est assise à table lorsque la Bête apparaît.
LA BETE :
N'ayez pas peur.
LA BELLE :
Je... Je n'aurai pas peur.
LA BETE :
Acceptez-vous que je vous vois souper ?
LA BELLE :
Vous êtes le maître.
LA BETE :
Non ! Il n'y a ici de maître que vous. Je vous répugne. Vous me trouvez bien laid.
LA BELLE :
Je ne sais pas mentir, la Bête.
LA BETE :
Tout est-il ici à votre convenance ?
LA BELLE :
Je ne me trouve pas très à l'aise dans ces beaux atours. Mais je devine que vous essayez de me faire oublier votre laideur.
LA BETE :
Mon cœur est bon. Mais je suis un monstre.
LA BELLE :
Il y a bien des hommes qui sont plus monstrueux que vous, et qui le cachent.
LA BETE :
Outre que je suis laid, je n'ai point d'esprit.
LA BELLE :
Vous avez l'esprit de vous en rendre compte.
LA BETE :
Tout ce qui se trouve dans ce château vous appartient... Exprimez vos moindres caprices. J'apparaîtrai chaque soir à sept heures. Je devrai vous poser une question, toujours la même.
LA BELLE :
Quelle est cette question ?
LA BETE :
Belle. Voulez-vous être ma femme?
LA BELLE :
Non, la Bête !
LA BETE :
Adieu donc, Belle. A demain.
[9] LES TOURMENTS DE LA BETE	
La Bête cherche en vain la Belle, puis il entre dans sa chambre.
LA BETE :
Où est Belle ? Où est Belle ?
Belle entre dans sa chambre.
LA BELLE :
Pourquoi êtes-vous dans ma chambre ?
LA BETE :
Je suis venu dans votre chambre vous apporter un cadeau.
LA BELLE :
Sortez ! Sortez !

DISC 2

[1] PROMENADE DANS LE JARDIN	
La Belle se promène dans le jardin, et découvre la Bête lapant l'eau d'un bassin. Elle poursuit sa marche et la Bête vont à sa rencontre.
LA BETE :
Je vous croyais en train de souper.
LA BELLE :
Je préfère me promener avec vous.
LA BETE :
C'est un grand privilège que vous me faites. Un grand privilège.
LA BELLE :
Vous avez la voix plus douce.
LA BETE :
Belle. Vous ne vous ennuyez pas trop toute la journée ?
LA BELLE :
Je trouve les journées longues. J'avoue que j'attendais presque sept heures.
LA BETE :
Quand je vous vois si bonne, j'ose à peine vous poser la question qui m'angoisse et qui me fait du mal.
LA BELLE :
Posez-la, j'y répondrai toujours de la même manière. Soyons amis, la Bête. Ne me demandez rien de plus. Et que faites-vous toute la journée ?
Le bruit d'un cerf trouvant son chemin en forêt, distrait la Bête.

 

M'entendez-vous, la Bête ? Je vous parle.

LA BETE :
E.. excusez-moi.
LA BELLE :
Eh, la Bête. Où êtes-vous?
LA BETE:
Excusez-moi. Excusez-moi, ce n'est rien.
LA BELLE:
Mais qu'avez-vous, la Bête?
LA BETE:
J'ai soif, la Belle.
La Belle se dirige vers la fontaine.
LA BELLE:
Buvez dans mes mains.
LA BETE:
Cela ne vous répugne pas de me donner â boire?
LA BELLE:
Non, la Bête, cela me plaît. Je ne voudrais jamais vous causer la moindre peine.
LA BETE:
Et cependant, votre rêve est d'être loin de moi.
Un autre jour. La Bête entre dans la grande salle à sept heures et demi précise.

Un autre jour. La Bête entre dans la grande salle à sept heures et demi précise.	
LA BELLE:
Comme vous êtes en retard!
LA BETE:
Je vous remercie, Belle, de l'avoir remarqué.
LA BELLE:
Je vous attendais, la Bête. Il faut que je vous parle.
LA BETE:
Belle. Belle. Belle!
LA BELLE:
Je ne peux vivre sans aller voir mon père.
LA BETE:
Debout, Belle, debout! C'est à moi de m'agenouiller et de prendre vos ordres.
LA BELLE:
Laissez-moi aller et revenir!
LA BETE:
Au retour, Belle, serez-vous ma femme?
LA BELLE:
Vous me tuez!
LA BETE:
Je sais que je suis très horrible. Mais je mourrai de douleur si je vous renvoie et si vous en profitez pour ne jamais revenir.
LA BELLE:
Je reviendrai au bout d'une semaine. Je vous estime trop pour vouloir causer votre mort.
LA BETE:
Vous me flattez comme on flatte un animal.
LA BELLE:
Mais vous êtes un animal.
LA BETE:
Ce que vous me demandez est bien grave. Il faut que j'y réfléchisse. Belle, voulez-vous m'accompagner au jardin?
Ils marchent dans le jardin...

 

Belle, vous a-t-on déjà demandée en mariage?
LA BELLE:
Oui, la Bête!
LA BETE:
Ah! Qui... vous a demandée en mariage? Un homme jeune?
LA BELLE:
Oui, la Bête.
LA BETE:
Il était beau?
LA BELLE:
Oui, la Bête.
LA BETE:
Pourquoi ne l'avez-vous pas épousé?
LA BELLE:
Je ne voulais quitter mon père.
LA BETE:
Et quel était le nom de ce beau jeune homme?
LA BELLE:
Avenant. La Bête, qu'avez-vous?
La Bête prend la fuite.	

 

La Bête, la Bête, qu'est-ce qu'il y a, la Bête?
Le même soir... La Belle est dans sa chambre la Bête apparaît à sa porte	

 

Que faites-vous devant ma porte? Dieu! Vous avez du sang!
LA BETE:
Pardon...
LA BELLE:
De quoi me demandez-vous pardon?
LA BETE:
D'être "Bête". Pardon.
LA BELLE:
Ces paroles vous conviennent aussi mal que possible. N'avez-vous pas honte? Nettoyez-vous, et allez dormir.
LA BETE:
Fermez votre porte! Fermez votre porte! Vite. Vite! Fermez votre porte! Votre regard me brûle. Je ne supporte par votre regard.
	
[2] LA SAISIE DES MEUBLES	
La maison du père. Les huissiers saisissent les meubles.	
AVENANT:
Ils emportent tout.
LUDOVIC:
Tu verras qu'ils ne laisseront même pas cette table.
AVENANT:
Jouons.
USURIER:
Allez chez votre père. Il n'y comprend rien. Mais ce n'est pas à moi de lui dire la vérité.
AVENANT:
Vas-y.
A l'étage de la maison. Le père au lit, est souffrant.
LE PERE:
Ah!... Ludovic. Ludovic, avoue.
LUDOVIC:
A vrai dire, j'avoue.
LE PERE:
Tu as fais cela!
De nouveau au rez-de-chaussée
AVENANT:
Monsieur, cet homme est très malade. Vous allez lui laisser son lit.
USURIER:
Ah, oui, les lits, on les laisse.
LUDOVIC:
Je te parie qu'on ne vide pas leurs chambres...
USURIER:
J'ai une garantie pour vos sœurs.
[3] LA CONFIANCE DE LA BETE EN LA BELLE
Au château. La Belle est au lit.
LA BETE:
Belle. Vous êtes malade?
LA BELLE:
Oui, la Bête, je suis malade.
LA BETE:
Qu'avez-vous?
LA BELLE:
Mon père est mourant.
LA BETE:
Je ne supporte pas de vous voir malade.
LA BELLE:
Renvoyez-moi chez mon père!
LA BETE:
Si j'accepte, pouvez-vous me jurer de revenir dans une semaine, jour pour jour?
LA BELLE:
Je vous le jure.
LA BETE:
Venez, la Belle.
Il la conduit au balcon.

 

Regardez, la Belle, vous voyez ce pavillon. On l'appelle "Pavillon de Diane". C'est le seul endroit du domaine où nul ne peut entrer, ni vous, ni moi. Tout ce que je possède, je le possède par magie. Mais dans ce pavillon se trouvent mes richesses véritables. On y pénètre avec une clef d'or. La voilà. Belle, je vous donne la plus grande preuve de confiance qui se puisse donner au monde. Si vous ne revenez pas, je mourrai. Après ma mort, vous ne risquerez plus rien, toutes mes richesses seront à vous. Prenez cette clef, la Belle, je connais votre âme. Cette clef, remise entre vois mains, sera le gage de votre retour.
LA BELLE:
Vous consentez à m'envoyer chez mon père?
LA BETE:
Vous y serez ce matin même. Ma nuit n'est pas la vôtre. Il fait nuit chez moi. C'est le matin chez vous. Belle , une rose qui a joué son rôle, mon miroir, ma clef d'or, mon cheval et mon gant sont les cinq secrets de ma puissance. Je vous les livre. Il vous suffira de mettre ce gant à votre main droite; il vous transportera où vous désirez être. Souvenez-vous de votre promesse. Adieu, la Belle.

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