LA BELLE ET LA BÊTE
Libretto
L'adaptation de Jean Cocteau pour le cinéma avec
Jean Marais et Josette Day dans les rôles principaux
DISC 2 page 3 [4] BELLE RETOURNE CHEZ SON PERE La Belle met les gants et se trouve transportée dans la chambre de son père.
LE PERE: |
Je rêve! |
LA BELLE: |
Non, mon père, vous ne rêvez pas. C'est Beau qui vous parle. |
LE PERE: |
Je te croyais morte. Tu as pu prendre la fuite? |
LA BELLE: |
Non, mon père, on m'a laissée vous voir. |
LE PERE: |
Ce monstre a donc une âme? |
LA BELLE: |
Il souffre, mon père. Une moitié de lui est en lutte contre l'autre. |
LE PERE: |
Belle, je l'ai vu. Sa tête est atroce. |
LA BELLE: |
D'abord il fait bien peur, mon père. Mais alors, je vois ses yeux si tristes, que je détourne les miens pour ne pas pleurer. |
LE PERE: |
Belle, tu ne me dis pas que tu acceptes ce monstre! |
LA BELLE: |
Il le faut. Certaines forces lui obéissent. Certaines forces le commandent. Si je m'échappais, je commettrais un crime envers lui, et envers vous. |
LE PERE: |
Est-ce qu'il te menace? |
LA BELLE: |
Il ne m apparaît qu'aux heures où sa cruauté n'est pas à craindre. Parfois, il a une démarche royale. Il semble victime de quelque infirmité. |
LE PERE: |
Tu trouves le moyen de la plaindre? |
LA BELLE: |
Je serais heureuse si j'arrivais à lui faire oublier sa laideur. |
LE PERE: |
Belle, Belle, il t'en coûtera d'être bonne... |
LA BELLE: |
Mon père, ce monstre est bon. |
La Belle verse une larme, qui se transforme en diamant.
LE PERE: |
Dieu du ciel, un diamant! Un autre! |
LA BELLE: |
C'est la preuve que les fées le protègent, car j'ai pleuré en pensant à lui. |
LE PERE: |
Ces diamants sont peut-être du diable. |
LA BELLE: |
Rassurez-vous, mon père, et gardez-les. Ils vous feront vivre. Si vous racontez à mes sœurs, il ne vous en restera rien... |
[5] BELLE RACONTE SON HISTOIRE Dans la cour. Adélaïde et Félicie étendent le linge, Ludovic donne à manger aux poules et Avenant coupe du bois.
FELICIE: |
J'ai les mains dans un état! Regarde! |
LUDOVIC: |
C'est atroce! |
ADELAIDE: |
Regarde les miennes. Une Cuisinière! |
LUDOVIC: |
Les belles princesses! Quand on n'a plus le sou, on travaille! |
ADELAIDE: |
Quel crétin! |
FELICIE: |
Tu peux parler fripouille! Sans le coup des meubles, nous aurions encore une servante. |
AVENANT: |
C'est ma faute. Je vous prie de constater que je paie de ma personne. |
ADELAIDE: |
Quand vous n'êtes pas en train de boire et de jouer aux dés! |
AVENANT: |
Vous êtes charmantes! Comment allait votre père? |
LUDOVIC: |
Si tu crois qu'elles s'en occupent! C'est moi qui le soigne. Il est encore très faible, il ne peut se tenir debout. |
LE PERE: |
Félicie! Adélaïde! Ludovic! |
FELICIE: |
Ça, par exemple! Une dame de la cour! Et mon père debout! |
ADELAIDE: |
Et nous voilà sans robe! |
AVENANT: |
Mais c'est la Belle! |
LUDOVIC: |
La Belle! C'est impossible! |
FELICIE: |
Si! [S'adressant à Avenant] Oh, vous! Laissez-moi tranquille. |
AVENANT: |
De plus en plus charmante! |
LE PERE: |
Belle est entrée dans ma chambre. |
LUDOVIC: |
S'adressant à BelleMais d'où sors-tu? |
FELICIE: |
Quel collier magnifique! |
LA BELLE: |
Prends-le, Félicie, sur toi il sera bien plus magnifique! |
Alors que Félicie prend le collier, il se transforme en une loque repoussante.
AVENANT: |
Dieu! |
ADELAIDE: |
Laisse-ça tout de suite. Quelle horreur! |
LE PERE: |
Ce que la Bête t'a offert est à toi. Il ne faut le donner à personne. |
FELICIE: |
Viens, Adélaïde, allons nous vêtir. De quoi aurions-nous l'air? |
LUDOVIC: |
Au revoir, amusantes petites! |
Les deux sœurs quittent la cour.
LA BELLE: |
Qui a fait ma lessive? |
AVENANT: |
C'est nous! |
LA BELLE: |
Les draps traînent par terre. |
LUDOVIC: |
Alors, cette bête n'était pas féroce? |
LA BELLE: |
Non, c'est une bonne bête. |
AVENANT: |
Vous n'allez pas retournes? |
LA BELLE: |
Si Avenant, j'ai promis. La Bête m'a laissée libre, et si je ne rentrais pas, elle en mourrait de douleur. |
AVENANT: |
Vous l'aimez? |
LA BELLE: |
Non, Avenant. Je l'aime... bien. Ce n'est pas pareil. |
Dans la maison
ADEALIDE: |
Le tribunal d'église s'intéresserait beaucoup au phénomène dont nous venons d'être témoins. |
Dans la cour
LA BELLE: |
S'adressant à son pèreA tout à l'heure. |
LUDOVIC: |
Allons dans la remise où elles ne peuvent pas nous entendre. Raconte! |
LA BELLE: |
Il m'a confié la clef de son trésor. Sa confiance en moi est complète. C'est moi qui serais le monstre si je ne revenais pas. |
LUDOVIC: |
Quels sont les domestiques? En as-tu beaucoup? |
LA BELLE: |
Ce sont des mains invisibles qui m'habillent, qui me coiffent, qui ouvrent et ferment les portes. Je ne vois jamais personne. |
AVENANT: |
Et cette bête parle le langage des hommes? |
LA BELLE: |
Oui. Elle parle comme vous et moi. |
LUDOVIC: |
Est-ce qu'elle marche à quatre pattes? Qu'est-ce qu'elle mange? |
LA BELLE: |
Il m'arrive de lui donner à boire... et elle ne me mangera pas! |
[6] LE PLAN Dans la maison
FELICIE: |
Tu te rends compte? |
ADELAIDE: |
C'est incroyable! |
FELICIE: |
Cette petite sotte est plus heureuse que nous. Elle est riche. Il y a bien d'autres maris qui portent du poil et des cornes. |
ADELAIDE: |
Elle crève d'orgueil. |
FELICIE: |
Tranquillise-toi. J'ai la tête sur les épaules. Soyons très aimables et laissons les garçons lui tirer les vers du nez. |
A la taverne
AVENANT: |
Montre ta fortune. |
LUDOVIC: |
Voilà. C'est effrayant! |
AVENANT: |
Il faut agir. J'ai décidé quelque chose. |
LUDOVIC: |
Plus rien à faire. |
AVENANT: |
Ludovic... L'idée de voir Belle retourner demain chez cette Bête est intolérable. Nous devons tuer la Bête. |
LUDOVIC: |
Et prendre ses richesses. Mais, tu sais ce que c'est qu'une puissance magique? |
AVENANT: |
Je ne crois pas aux puissances magiques. Le monstre endort la Belle et lui fait croire ce qu'il veut... |
LUDOVIC: |
J'ai peur. |
AVENANT: |
S'il s'agit de délivrer la Belle, moi je n'ai peur d'aucune puissance au monde. Flatte tes sœurs. Si elles y trouvent leur intérêt, elles empêcheront Belle de partir. |
LUDOVIC: |
Et, par quel miracle te rendras-tu chez la Bête? |
AVENANT: |
J'interrogerai la Belle et je lui arracherai son secret. |
Plus tard. Dans la cuisine
FELICIE: |
Nous nous frotterons les yeux avec des oignons et nous pleurerons. |
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ADELAIDE: |
Elle sentira cette ignoble odeur. |
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FELICIE: |
La souillon est bien trop stupide pour s'en apercevoir. L'idée de Ludovic n'est pas si sotte. Laisse-moi faire. Charmant! Allez, vas-y, vas-y... |
Elles entrent dans la chambre de la Belle tout en tenant leurs mouchoirs au visage.
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Oh! Belle reste avec nous. Nous avons été souvent bien injustes... |
ADELAIDE: |
Mais à la minute de te perdre... |
FELICIE: |
Nous venons de comprendre combien nous t'aimons. |
LA BELLE: |
Vous pleurez? |
FELICIE: |
Si cette Bête t'aime, elle ne t'en voudra pas de prolonger ton séjour. |
LA BELLE: |
C'est impossible! |
FELICIE: |
Tu veux donc tuer de chagrin ton père et tes sœurs. Belle, reste. Reste, Belle, reste avec nous! |
LA BELLE: |
Je ne peux pas. |
FELICIE: |
Ne sois pas méchante. Reste. |
LA BELLE: |
Adélaïde, Adélaïde, ma petite sœur ! |
FELICIE: |
Adélaïde me disait "je découvre notre Belle, et je mourrai si elle nous quitte". |
LA BELLE: |
Ne me tentez pas... |
FELICIE: |
Ne nous abandonne pas demain! Tu expliqueras à la Bête que c'est la faute de tes sœurs. |
Elle aperçoit la clef d'or posée sur la commode, et la prend à l'insu de la Belle.
LA BELLE: |
Je ne savais que vous m'aimiez tant. |
FELICIE: |
Belle, tu es un ange! |
ADELAIDE: |
Nous sommes contentes! Contentes! |
Belle se jette sur le lit. Ses sœurs quittent la pièce.
|
Elle pleure. |
FELICIE: |
Elle restera, et nous partagerons les trésors. |
ADELAIDE: |
Allons nous laver. Tu empestes! |
Elles rencontrent Ludovic sur le palier.
LUDOVIC: |
Alors? |
FELICIE: |
Alors, quoi? |
LUDOVIC: |
Elle reste? |
FELICIE: |
Elle reste. |
LUDOVIC: |
Tu as la clef? |
FELICIE: |
Regarde! |
LUDOVIC: |
Donne. |
FELICIE: |
Pour qui me prends-tu? |
ADELAIDE: |
Dieu sait l'usage que tu en ferais. |
LUDOVIC: |
Pauvre idiote! |
FELICIE: |
Je donnerai cette clef à Avenant s'il se décide à partir. |
LUDOVIC: |
Vous êtes fantastiques. Partir comment? Partir pour ou? |
FELICIE: |
Mais qu'Avenant se débrouille! |
[7] LA PASSION D'AVENANT Repas de famille. Belle sert le dîner.
LE PERE: |
Belle, tu as l'air tout triste. |
LA BELLE: |
Non, mon père. |
FELICIE: |
Elle regrette son luxe, et notre médiocrité la dégoûte. |
LE PERE: |
Félicie ! Félicie ! |
ADELAIDE: |
La Bête devait avoir des charmes que nous ne possédons pas! |
LE PERE: |
Ah! |
FELICIE: |
Mademoiselle estime sans doute qu'il n'est plus de son rang de servir à table. |
La Belle se précipite hors de la pièce.
LE PERE: |
Belle! Belle! |
Avenant l'attend dehors.
AVENANT: |
Qu'est-ce qu'on vous a encore fait? Ce sont vos sœurs? Elles n'ont pas été longues. Quelle misère! Belle, écoutez-moi, ne pleurez plus. Il faut que je vous réveille de ce cauchemar... Il faut que je vous emporte! Je sais à quoi vous pensez. Je suis un chenapan. Auprès de vous, je travaillerai. Nous quitterons les tavernes. Répondez... Qu'avez-vous? Je vois, c'est la Bête. Dites-moi le secret qui vous permet de la rejoindre. J'irai, je la tuerai. Ne répondez pas... Je m'en doutais. La Bête exerce sur vous quelque charme, du moins, votre cœur que je connais, ne peut se résoudre à lui vouloir du mal. Belle, laissez-moi vous le dire, ce monstre ne souffre pas. S'il souffrait comme je souffre, il volerait à votre rencontre, et il vous obligerait à le suivre. Rassurez-vous, il vous a oubliée... |
Au château. La Bête attend anxieusement le retour de la Belle.